La théorie de l’enrichissement sans cause au service de la liquidation d’un régime de séparation de biens (1ère partie)1

« Déjà en droit romain on estimait que celui qui s’est enrichi sans cause ou de manière injustifiée au préjudice d’un autre, est tenu de réparer l’iniquité qui en découle2 ». Dans un arrêt de la Cour d’appel de Liège, il est précisé « La théorie de l’enrichissement sans cause repose sur la théorie des impenses et sur le principe général d’équité selon lequel nul ne peut s’enrichir aux dépens d’autrui et toute prestation doit être équilibrée par une prestation correspondante3 ».

La théorie de l’enrichissement sans cause a été érigée en principe général de droit par la Cour de cassation4. Elle consiste en un quasi-contrat5.

Habituellement, l’enrichissement sans cause nécessite pour être retenu cinq conditions6 : un enrichissement, un appauvrissement , un lien de causalité entre l’enrichissement et l’appauvrissement, l’absence de cause, et l’absence d’une autre voie de droit (subsidiarité).

L’action introduite sur base de l’enrichissement sans cause, appelée généralement de in rem verso, devra aboutir à l’établissement des ces cinq conditions7.

1.1 L’enrichissement

La notion d’enrichissement va s’apprécier dans chaque cas  d’espèce au regard de la situation générale de l’appauvri et de l’enrichi. L’enrichissement peut se traduire aussi bien dans un accroissement de patrimoine que dans une réduction de charges8.

1.2 L’appauvrissement

La façon dont il faudra apprécié l’appauvrissement sera du même type que pour l’enrichissement c’est-à-dire au sens large du terme. Ce n’est pas nécessairement une perte d’argent et il peut s’agir par exemple d’une perte de temps. L’appauvrissement ne s’appréciera qu’au regard de l’enrichissement de l’autre partie9. Il s’agira donc bien de vérifier concrètement si la personne s’est appauvrie en examinant toutes les relations qu’on pu avoir les parties en cause.

1.3 Le lien de causalité

Assez paradoxalement on parle de lien de causalité alors que l’on met également comme condition à l’application de la théorie de l’enrichissement sans cause, l’absence de cause.

En ce qui concerne le lien de causalité, il s’agira plutôt de conséquence que de cause, l’enrichissement devant être la conséquence de l’appauvrissement. Sans l’appauvrissement, il n’y aurait pas eu enrichissement10.

1.4 L’absence de cause

Il s’agit de la condition ayant donné lieu à débats et controverses, et particulièrement, dans l’application de la théorie de l’enrichissement sans cause aux époux séparés de biens11.

Seul l’enrichissement « sans cause » va donner lieu à la possibilité d’introduire une action.

Il y aura donc un déplacement de richesses sans raison d’être et sans justification12.

Bénédicte Gennart et Louis Taymans précisent : « la notion de cause ne doit pas s’entendre au sens strict de cause juridique, c’est-à-dire de « titre justifiant le transfert de richesse », ni au sens de « mobile déterminant de consentement » ; il faut rechercher si le transfert de richesse a une justification économique ou morale » 13.

Dans une matière où l’équité a énormément d’importance puisque l’on veut rétablir l’équilibre d’une situation qui semble non équitable, les auteurs sont partagés quant à l’ampleur des pouvoirs d’appréciation à laisser aux magistrats. Certains préconisent de faire un relevé des hypothèses ou l’appauvrissement et l’enrichissement sont bien sans cause14 afin d’aider les magistrats et d’éviter l’arbitraire et d’autres considèrent qu’il faut laisser aux juges la possibilité de statuer au cas par cas en équité15.

Parmi les causes possibles, il y a bien évidemment la loi elle-même, un contrat, la volonté de l’appauvri qui avait une intention libérale, qui a agi dnas un intérêt personnel ou qui a spéculé. L’enrichissement peut encore avoir pour cause une décision judiciaire ou une obligation naturelle16.

1.5 La subsidiarité de l’action de in rem verso

L’action de in rem verso ne pourra être reçue que si il n’existe pas d’autre fondement possible à la créance alléguée17. Il s’agit d’une action subsidiaire18.

La Cour de cassation a néanmoins considéré que la condition de subsidiarité ne privait pas un demandeur d’invoquer, à titre subsidiaire, l’enrichissement sans cause après avoir invoqué, à titre principal, d’autres fondements à sa demande de restitution19.

Dans son commentaire de l’arrêt de Cassation du 9 juin 2017, Jean-François Romain note : « la subsidiarité n’est que processuelle, c’est-à-dire, (…), qu’elle n’est que la conséquence de la réunion des autres condiitons, en particulier de celle d’absence de cause et ne constitue pas une conditon en elle-même »20. Toujours selon cet auteur, qui plaide contre une condition de subsidiarité entendue au sens strict, le fondement d’équité de l’enrichissement sans cause ne peut souffrir une application stricte de la condition de subsidiarité21.

Patrick Wéry reprend les positions de chacun en la matière, et précise que le terme de subsidiarité ne fait pas l’unanimité, relevant de la position développée ci-avant par Jean-François Romain dès 201222. Néanmoins, lors de cette étude parue en 2016, il n’a pas encore connaissance de l’arrêt rendu par la Cour de Cassation en 2017 et conclut que celle-ci a élevé la condition de subsidiarité comme une condition à part entière23.

À suivre ! La liquidation du régime de séparation de biens et l’enrichissement sans cause.

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